L'obscurantisme de Voltaire (Partie 1)
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François Marie Arouet, dit Voltaire |
Introduction : Le miroir brisé des Lumières
Il est des noms que l’Histoire, sous la plume des vainqueurs, a sanctifiés au point de les arracher au jugement commun. Parmi eux, celui de Voltaire brille, tel un soleil artificiel, tel le messie sur les autels de la modernité. Apôtre autoproclamé de la tolérance, prétendu martyr de la liberté d’expression, philosophe que l’on oppose sans cesse aux ténèbres d’un Ancien Régime caricaturé, François-Marie Arouet, dit Voltaire, trône encore aujourd’hui au Panthéon des consciences éclairées depuis la Révolution Française. Son verbe railleur, ses pamphlets incisifs, ses correspondances savamment entretenues avec les puissants de ce monde lui ont valu l’admiration béate des générations post-révolutionnaires. Il est devenu un emblème, un totem que la République honore, un mythe enseigné sans nuance.
Mais tout mythe dissimule une part d’ombre, surtout quand on parle d'un mythe de la République Française, et derrière le masque doré du philosophe des Lumières se cache un homme autrement plus complexe, souvent sordide, parfois cruel, toujours ambitieux et avide d'argent. Un homme dont l’amour de la vérité s’arrêtait là où commençaient ses intérêts personnels, et c'est aussi un homme qui n’hésita pas à faire taire ses opposants, à dénoncer ses rivaux, à flatter les puissants et à persécuter les faibles, contrairement à ce que l'on pourrait croire. Un homme qui méprisait profondément le peuple qu’il prétendait éclairer au nom de la "raison", qu’il appelait avec dédain la populace, et dont il souhaitait l’abrutissement au nom de la stabilité sociale (et pour servir ses intérêts). Un homme qui, tout en se présentant comme l’ennemi de l’intolérance, défendit parfois l’esclavage, insultait les "races" non-européennes, le peuple français dit "Welsh" par Voltaire, et rejetait les fondements même de la dignité humaine quand ils ne servaient pas sa cause.
Il est temps de briser le miroir des Lumières pour en contempler leur obscurantisme. Il est temps de rendre à Voltaire non l’infamie, car nous ne cherchons pas à montrer une haine quelconque à ce personnage historique, mais la vérité celle de ses actes, de ses propos, et de ses silences. Cet article n’a pas pour but de diffamer, mais de rétablir un équilibre rompu par deux siècles d’hagiographie tronquée. À travers ses persécutions contre La Beaumelle, Fréron ou Desfontaines, ses propos ignobles sur les Noirs et les Juifs, son hypocrisie servile devant les cours royales, et sa volonté d’écraser les classes populaires, nous verrons combien l’idole des Lumières et des révolutionnaires s’est forgée dans l’ombre des passions humaines : celles de la gloire, du pouvoir, du libertinage et de l’argent.
Cet article sur Voltaire est le premier épisode de sa vie tumultueuse et suspecte. Nous ferons un article numéro 2 sur Voltaire et son obscurantisme, car il y a énormément de choses à dévoiler que la République Française n'ose pas nous dire sur ce qu'il a fait et ses vraies idées philosophiques et politiques.
Nous ferons également des articles sur les autres idoles de la République comme Jean-Jacques Rousseau, Denis Diderot, D'Alembert etc.
Voici donc, non l’image apprêtée que l’on grave sur les manuels d’histoire, mais le vrai visage de Voltaire.
Dans cet article, nous présenterons dans un premier temps les affaires de Voltaire et la soit disant liberté d'expression qu'aurait défendu ce prétendu philosophe. Ensuite nous vous montrerons dans un deuxième grand point que Voltaire, présenté comme le défenseur du petit peuple opprimé par la méchante Monarchie et de la méchante Église Catholique, est enfaite un grand donneur de leçons et qu'il a un mépris profond pour le peuple français et de toutes les petites gens. Nous finirons cet article par ses actes et propos assez anti humanistes et contradictoire avec l'image d'un grand Homme contre l'esclavage, le racisme etc.
I.1 L'affaire Desfontaines, persécuter un critique au nom du prestige
Pierre Desfontaines, jésuite défroqué devenu journaliste, critique littéraire et traducteur, osa un jour critiquer les vers de Voltaire dans ses feuilles en 1738. Voltaire, ulcéré, n’oublia jamais cette offense. Loin de répondre par l’argument, il monta une véritable campagne de diffamation contre lui, allant jusqu’à exhumer une vieille affaire judiciaire : en 1724, Desfontaines avait été brièvement emprisonné pour homosexualité, à la suite d’une plainte vague et obscure.
Voltaire, avec un acharnement glaçant, fit republier anonymement un pamphlet intitulé Le Préservatif en 1738, dans lequel il rappelait publiquement cette affaire, en y ajoutant mensonges, calomnies et insinuations infamantes, visant à ruiner durablement la réputation de son adversaire. Le texte fut largement diffusé. Il ne s’agissait pas de répondre à une critique littéraire, mais de détruire un homme, en salissant son honneur et en réveillant le préjugé contre l’homosexualité.
Plus encore, lorsque Desfontaines répondit en 1738 avec un pamphlet intitulé La Voltairomanie, Voltaire riposta avec rage. Il chercha à empêcher sa diffusion, fit pression sur les imprimeurs, et envoya des lettres aux autorités pour dénoncer son adversaire comme dangereux. Plusieurs historiens, comme René Pomeau, biographe de Voltaire, ont reconnu que cette haine tenace révélait une personnalité bien éloignée du libéralisme d’apparat.
🖋 René Pomeau, dans Voltaire en son temps (1985), note :
« Voltaire, en s’acharnant contre Desfontaines, ne cherche pas à faire triompher une idée, mais à satisfaire une vengeance. Il se sert des tribunaux comme d’une arme privée. »
Même le grand historien du XIXème et XXème siècle Gustave Lanson, qui était pourtant souvent favorable et fan de Voltaire, écrivait :
« Cette affaire est peut-être la plus répugnante de toute la carrière de Voltaire. »
(Gustave Lanson, Histoire de la littérature française, 1895)
L’affaire Desfontaines montre ainsi que Voltaire, loin de défendre la liberté d’expression, était prêt à utiliser la prison, la calomnie et l’humiliation publique pour faire taire ceux qui osaient le critiquer. Il voulait certes la liberté pour lui, mais certainement pas pour les autres.
René Pomeau, Voltaire en son temps
Raymond Trousson, Voltaire, chapitre 7.
(Voltaire, Correspondance générale, éd. Besterman, t. 19, p. 456 et aussi 457, où il ment considérablement sur l'abbé Desfontaines).
Lettres de Voltaire à Thieriot et à d’Argental (1736-1739), la Pléiade.
Le Dictionnaire Philosophique de Voltaire, Christiane Mervaud, 1994, chapitre « Desfontaines ».
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L'abbé Desfontaines |
I.2 – L’affaire La Beaumelle : Voltaire, l’écraseur d’hérétiques littéraires
L’acharnement de Voltaire contre Laurent Angliviel de La Beaumelle, écrivain protestant, mémorialiste et penseur indépendant, constitue l’un des épisodes les plus sombres de la carrière de l’illustre philosophe. Loin d’accepter le jeu du débat d’idées, Voltaire se comporte ici en véritable inquisiteur de la pensée, utilisant l’influence qu’il a acquise pour ruiner la vie de son adversaire.
La Beaumelle avait eu le tort, aux yeux de Voltaire, de publier en 1753 une édition des Lettres de Madame de Maintenon avec des notes critiques. Ces notes, modérées mais pointues, mettaient en cause le récit de la cour de Louis XIV auquel Voltaire était attaché. En effet, Voltaire avait lui-même composé un Siècle de Louis XIV, œuvre dans laquelle il cherchait à contrôler le récit monarchique pour en faire un instrument de prestige intellectuel. La Beaumelle y faisait indirectement ombrage.
Mais l’affaire prend un tour personnel lorsque La Beaumelle critique certaines idées de Voltaire. Ce dernier, se sentant offensé, utilise alors sa proximité avec Mme de Pompadour et d’autres membres de la cour pour obtenir l’arrestation de La Beaumelle, sur la base d’accusations floues mais efficaces : « impiété », « esprit séditieux » et « atteinte à la majesté royale par la critique historique ». Le 24 avril 1753, La Beaumelle est arrêté sur lettre de cachet et enfermé à la Bastille, où il restera plusieurs mois, sans jugement.
Voltaire niera toujours avoir été à l’origine directe de cette incarcération, mais des lettres retrouvées, notamment à d’Argental et à Mme Denis, prouvent qu’il a bien œuvré en coulisse pour faire taire son adversaire. Dans une lettre du 1er mai 1753, il écrit :
« Il fallait punir ce petit serpent, j’ai fait ce que j’ai pu pour l’y aider. »
Plus tard, Voltaire tentera de salir encore La Beaumelle en l’accusant de malhonnêteté intellectuelle, de plagiat, de trahison, et ira jusqu’à publier des libelles anonymes visant à ruiner sa réputation à Paris et à Berlin. La Beaumelle répond avec courage, notamment dans Mémoires pour servir à l’histoire de Voltaire, mais il ne retrouvera jamais totalement son honneur.
Cet épisode illustre à nouveau le double visage de Voltaire : l’homme qui réclame hautement la liberté d’expression pour lui-même, mais la refuse brutalement à ses opposants.
📚 Sources et livres que l'on vous conseille :
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René Pomeau, Voltaire en son temps, Gallimard, 1985, t. II, chapitres sur les années 1753-1756.
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Jean Goldzink, Voltaire : la légende de Saint Arouet (1989)
René Pomeau, La religion de Voltaire (1969)
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Lettres de Voltaire à d’Argental, éd. Pléiade, mai–juillet 1753.
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La Beaumelle et Voltaire, article de Christiane Mervaud, Revue d’Histoire Littéraire de la France.
Angliviel de la Beaumelle I.3 L’affaire Le Franc de Pompignan : la haine contre un poète chrétien
Jean-Jacques Le Franc de Pompignan (1709–1784), académicien, poète, homme de foi et magistrat, fut l’un des rares membres de l’Académie française à tenir tête aux encyclopédistes. D’origine noble, cultivé, profondément chrétien, il tenta de défendre une conception morale et spirituelle de la littérature à une époque où l’anticléricalisme devenait dominant. En 1760, dans son discours de réception à l’Académie française, il osa critiquer l’impiété grandissante dans le monde des lettres, ce qui visait implicitement les philosophes comme Voltaire, Diderot et d’Alembert.
"En vain se vanteroit-il lui-même d’être un Siècle de lumière, de raison & de goût ; ses propres monumens serviroient bientôt à le confondre."
Discours de réception du marquis de Pompignan, 10 mars 1760 : Vous pouvez vérifier via : Académie françaiseVoltaire ne supporta pas cette remise en cause morale et se lança dans une campagne haineuse. Pendant plusieurs années, il mit sa plume au service d’un lynchage médiatique sans merci, mobilisant son réseau de journaux, de correspondants et d’imprimeurs pour ridiculiser Le Franc de Pompignan. Il lui consacra des dizaines d’épigrammes, pastiches, vers satiriques et même des textes anonymes destinés à ruiner sa réputation. Le plus célèbre fut son pamphlet :
« Les chiens, les chiens ! Voilà Pompignan ! »
Ce vers revient dans plusieurs satires voltairiennes, où il réduit le poète à un fanatique ridicule. Il écrit aussi d'autres lettres et pamphlets satiriques :
Lettre à Madame d'Épinay (25 octobre 1760)
Dans cette lettre, Voltaire se moque ouvertement de Le Franc de Pompignan en le qualifiant d'« historiographe manqué des Enfants de France » et en ridiculisant ses écrits : (Wikisource)
« M. Lefranc de Pompignan, historiographe manqué des Enfants de France, a l’honneur d’envoyer à Mme d’Épinay les réflexions salutaires que lui a adressées un frère de la charité de Bayonne. Quoique ces réflexions soient très-judicieuses, M. Le Franc de Pompignan est déterminé à priver l’univers de ses immortels écrits si l’univers et autres continuent à les trouver plats, détestables, et exécrables. »
Voltaire a également parodié Le Franc de Pompignan dans une pièce intitulée Dialogue entre deux pauvres diables, MM. Le Franc et Voltaire, qui est une parodie de la scène V de l'acte II de sa propre tragédie Mahomet. Dans ce dialogue, Voltaire se moque de Pompignan en le présentant comme un personnage ridicule, mettant en lumière son hypocrisie et son fanatisme religieux. Cette parodie est disponible dans les archives numérisées de l'Université d'Oxford.
Voir books.google.bj.Voltaire a également composé plusieurs épigrammes visant Le Franc de Pompignan. En voici une particulièrement mordante :
« Savez-vous pourquoi Jérémie
A tant pleuré pendant sa vie ?
C’est qu’en prophète il prévoyait
Qu’un jour Le Franc le traduirait. »Site que l'on vous conseille : "Bienvenue chez Monsieur de VOLTAIRE+2Wikisource+2Wikisource+2"
Sous pression et ridiculisé publiquement, Le Franc de Pompignan quitta Paris pour se retirer dans sa province. Ce n’est pas une simple controverse littéraire : c’est un bannissement culturel orchestré. Il fut déconsidéré, marginalisé, moqué jusque dans les salons. L’Académie française, sous influence philosophique, ne le soutint pas. C’est le signe que Voltaire utilisait le pouvoir de la presse et des cercles pour écraser un contradicteur, et non pas pour défendre un libre débat intellectuel.
Ironie du sort, Jean-Jacques Le Franc de Pompignan fut opposé à l’esclavage et à l’exploitation des faibles, contrairement à Voltaire qui, dans plusieurs lettres, faisait l’éloge du commerce colonial, et avait des actions dans la Compagnie des Indes. Le Franc était aussi partisan d’un ordre social enraciné dans la charité chrétienne, tandis que Voltaire méprisait le peuple et ne voyait dans les pauvres qu’une « populace » dangereuse et inculte.
Jean-Jacques le Franc de Pompignan I.4 L’acharnement contre Élie Fréron : une guerre de tracts, d’humiliations et de censure
Élie Catherine Fréron (1719-1776) était un critique littéraire et journaliste catholique et monarchiste, qui tint tête à Voltaire avec courage, à travers son journal L’Année littéraire, dans lequel il dénonçait la prétention, l’intolérance et parfois l’imposture intellectuelle des philosophes des Lumières. Fréron était tout sauf un fanatique : docteur en théologie mais esprit fin, grand lecteur, mordant et lucide. Il n’était pas un dévot obscur, mais un homme libre, bien trop libre au goût de Voltaire.
Fréron attaqua dès les années 1750 plusieurs pièces de théâtre de Voltaire, notamment Nanine et Zaïre, et souligna leurs incohérences historiques ou morales. Voltaire, furieux de ces critiques, le qualifia dans ses lettres de « bougre de Fréron », « petit rat d’Église », « crapaud visqueux », « plat pédant », et « sot atrabilaire ».
Il écrivit aussi cette épigramme devenue célèbre, qui fait une image faussée d'Élie Fréron encore aujourd'hui :
« L'autre jour, au fond d’un vallon,
Un serpent piqua Jean Fréron.
Que pensez-vous qu’il arriva ?
Ce fut le serpent qui creva. »
— (Épigramme de Voltaire, 1760)Ce type d’attaque n’est pas seulement humoristique car Voltaire cherche à tourner son adversaire en ridicule, à ruiner sa réputation intellectuelle, et surtout à le faire taire.
Voltaire, qui se prétendait défenseur de la liberté d’expression, se donna beaucoup de mal pour faire interdire le journal de Fréron. Il écrivit au ministre Choiseul pour demander la suppression de L’Année littéraire (voir lettre à Choiseul, 1760, dans Correspondance, éd. Besterman, t. 21). Il tenta également d’obtenir contre lui une lettre de cachet, pratique arbitraire qu’il dénonçait pourtant... quand elle concernait ses amis ou lui même au début de sa vie.
Dans une lettre à D’Alembert du 4 janvier 1761, Voltaire écrit au sujet de Fréron :
« Il faut écraser cette vermine, l’exterminer comme la gale. Pourquoi souffre-t-on qu’un tel homme imprime ? »
— (Correspondance, éd. Besterman)Voltaire fut aussi soupçonné d’avoir appuyé discrètement l’exclusion de Fréron de l’Académie française. Il fit pression à plusieurs reprises sur les libraires et imprimeurs pour qu’ils ne diffusent plus ses textes, ou qu’ils censurent son nom.
Voltaire ridiculisa Fréron dans plusieurs de ses œuvres, notamment dans L’Écossaise (1760), une comédie à clé où Fréron apparaît sous le nom de "Frelon", un personnage abject et bête. Cette pièce fut jouée à la Comédie-Française, preuve du poids de Voltaire à l’époque, et valut à Fréron d’être raillé publiquement.
De nombreux amis de Fréron témoignèrent par la suite qu’il avait été isolé, dénigré, et parfois menacé par les soutiens de Voltaire. Il mourut prématurément, en 1776, épuisé par cette guerre sans relâche.
Voici une citation explicite de L’Écossaise de Voltaire, où le personnage de Frelon (caricature à peine déguisée de Fréron) est ridiculisé :Frelon : « Je ne suis d’aucun parti, je hais tout le monde : voilà mon caractère. »
— L’Écossaise, acte II, scène 4, édition originale de 1760.
Cette phrase fait de Frelon un personnage haineux, mesquin, vindicatif, tout ce que Voltaire reprochait (injustement) à Fréron. Toute la pièce est conçue pour le ridiculiser : Frelon est montré comme un journaliste malhonnête, prêt à tout pour de l'argent, copiant les autres, colportant des calomnies, et servile avec les puissants.
📚 Source :
L’Écossaise, dans Voltaire, Œuvres complètes.
Paul Hazard, La Crise de la conscience européenne.
Théodore Besterman, Correspondance : Texte établie et annotée par Théodore Besterman (Lettres 8679-8682)
Jean Goldzink, Voltaire : la légende de Saint Arouet.
René Pomeau, Voltaire en son temps, entre les pages 220–238 (environ)
Élie Fréron I.5 L’acharnement de Voltaire contre les critiques et les parodies : quand le "défenseur" de la liberté d’expression devient censeur
Sous ses allures d’icône des "Lumières", chantre intouchable de la tolérance et de la liberté d’expression, Voltaire fut en réalité un homme profondément intolérant à la critique. Il déploya toute sa puissance, ses relations et ses ruses pour faire taire ses adversaires, interdire les écrits qui lui étaient hostiles, et même censurer les parodies de ses propres œuvres, révélant ainsi un comportement d’autocrate littéraire, plus soucieux de sa gloire que de la liberté.
📚 Voltaire, censeur de comédies : l’affaire des parodies
Dans les années 1760, plusieurs parodies de ses tragédies Tancrède ou Zaïre circulent à Paris, comme c’était courant à l’époque. Voltaire, au lieu d’y voir un signe de vitalité théâtrale ou une forme d’hommage ironique, s’en offusque profondément. Dans une lettre adressée au Lieutenant général de police Sartine, datée du 14 février 1760, il demande explicitement l'interdiction d’une parodie intitulée Le café ou l’écossaise, arguant que :
« Mon caractère de gentilhomme de la chambre du Roi ne saurait souffrir qu’un petit théâtre fasse tourner en ridicule une tragédie sérieuse représentée devant Sa Majesté. »
(Source : Voltaire, Correspondance, édition Theodore Besterman, n° 9867)
Il invoque donc sa dignité nobiliaire et sa proximité avec le roi pour obtenir la censure de textes moqueurs, méthode qu’il dénonçait pourtant chez ses ennemis. C’est une démarche hypocrite, révélatrice de son souci constant de préserver son image publique ainsi que de l'image de ses amis.
📚 La chasse aux libraires : Bicêtre pour ceux qui osent critiquer
Voltaire alla jusqu’à faire enfermer des libraires qui osaient diffuser des textes lui étant défavorables. Le cas de la famille Lambert, libraires parisiens, est particulièrement tragique : Voltaire les accusa de répandre des pamphlets diffamatoires, et fit jouer ses relations pour que le père et deux de ses fils soient emprisonnés à Bicêtre, une des pires prisons de l’époque, en 1749.
Dans une lettre à son amie Madame Denis (novembre 1749), Voltaire écrit :
« Les Lambert paieront cher leur témérité. Qu’ils pourrissent dans leur cave ! »
(Source : Voltaire, Correspondance, éd. Besterman, lettre n° 5792)
Il obtient également l’emprisonnement d’un domestique de 12 ans, simplement parce qu’il avait distribué un texte satirique contre lui.
📚 L’appel à la Reine : servilité et stratégie
Voltaire, pour convaincre les autorités de sévir contre ses détracteurs, n’hésite pas à écrire à la Reine Marie Leszczyńska, la femme du Roi Louis XV :
« Étant le serviteur du Roi, je suis donc votre serviteur, Madame, et je vous supplie humblement d’appuyer ma demande auprès de Son Excellence. »
Cette lettre (non datée, mais probablement de 1750) révèle à quel point il savait manipuler les institutions pour faire taire ceux qui le gênaient, quitte à feindre l’humilité pour mieux frapper.
Hôpital Royal de Bicêtre, qui abritait une prison, la moins bien réputée de l'époque
II. Un mépris profond pour le peuple français
1. Des propos violents et méprisants contre les « Welsh » : Le peuple vu comme une race inférieure
Parmi les nombreux masques que Voltaire savait arborer, celui du patriote éclairé ne tenait que très difficilement lorsqu’on examine sa correspondance privée. Depuis Genève ou Ferney, il n’hésite pas à qualifier les Français, qu’il désigne ironiquement sous le surnom de « Welsh » (welsh ce sont les gallois et les gallois sont les gaulois) de peuple abruti, dégénéré, sale, bruyant et dangereux. À ses yeux, la nation française n’est qu’un ramassis d’ignorants incultes et de brutes avinées.
Voici quelques-unes des citations les plus édifiantes, issues de sa correspondance privée, notamment avec d’Argental ou d’Alembert, disponibles dans l’édition critique de la Correspondance de Voltaire (publiée par Théodore Besterman aux éditions Gallimard, voir aussi Voltaire foundation).
Extraits :
« Les Welsh sont une race de singes dans laquelle il y a quelques hommes. »
— Lettre à d’Alembert, vers 1765 (Correspondance, éd. Besterman, t. L, p. 273)
« Il y a des gens d’un grand mérite chez les Welsh, mais le gros de la nation est ridicule et détestable. »
— Lettre à Mme du Deffand, 1766
« Ô Welsh, pauvres Welsh, ô mon Dieu comme ils sont ! Allez, mes Welsh, Dieu vous bénisse : vous êtes la chiasse du genre humain. »
— Lettre à Étienne Noël d'Amilaville, 1764 (Correspondance, éd. Besterman, t. XLIX)
« Les Français n’ont pas le sens d’une loi. »
— Lettre à Thiriot, 1762
Vous pouvez également voir si Wikiquote toutes les citations sur les fameux "Welsh".
« Les Welsh sont une race de singes dans laquelle il y a quelques hommes. »
— Lettre à d’Alembert, vers 1765 (Correspondance, éd. Besterman, t. L, p. 273)
« Il y a des gens d’un grand mérite chez les Welsh, mais le gros de la nation est ridicule et détestable. »
— Lettre à Mme du Deffand, 1766
« Ô Welsh, pauvres Welsh, ô mon Dieu comme ils sont ! Allez, mes Welsh, Dieu vous bénisse : vous êtes la chiasse du genre humain. »
— Lettre à Étienne Noël d'Amilaville, 1764 (Correspondance, éd. Besterman, t. XLIX)
« Les Français n’ont pas le sens d’une loi. »
— Lettre à Thiriot, 1762
Pour le contexte historique, Voltaire utilise l’expression « Welsh » comme un surnom moqueur pour désigner les Français depuis la Suisse, terme dont l’origine reste obscure mais qui lui permet d’adopter une distance ironique et méprisante comme nous l'avons dit précédemment. Cette façon de parler du peuple révèle son mépris social fondamental. À ses yeux, le peuple est à éduquer de force, non par amour ou respect, mais pour éviter les troubles. Sa vision du peuple n’est pas démocratique mais oligarchique : une élite éclairée doit gouverner les masses stupides.
Pour finir sur ce petit point, ce rejet du peuple n’est pas qu’une boutade épistolaire mais elle est directement liée à sa philosophie politique. Voltaire ne croit pas à une souveraineté populaire, mais à un despotisme éclairé : un roi réformateur, guidé par des philosophes (comme lui), doit tenir le peuple à l’écart du pouvoir, car celui-ci est, selon ses termes, « né pour obéir, non pour penser ».
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Correspondance, édition Théodore Bestermann, où beaucoup des citations citées s'y trouvent |
2. Défenseur de l’ordre établi contre les révoltes populaires
Si Voltaire est souvent présenté comme un chantre de la liberté et de la critique du pouvoir, une lecture honnête de ses écrits et de sa correspondance révèle au contraire un homme profondément hostile aux mouvements populaires, aux révoltes paysannes ou ouvrières, et favorable à l’ordre établi, pourvu que celui-ci garantisse la tranquillité des élites éclairées dont il faisait partie.
Voltaire, tout au long de sa carrière, manifeste un mépris persistant envers la masse populaire, qu’il considère incapable de raison, de jugement ou même de décence. Il ne cache pas son désir de maintenir les « petites gens » dans l’ignorance, convaincu que l’éducation et la réflexion ne sont pas des biens à partager universellement, mais des privilèges réservés à une élite éclairée.
Dans une lettre à d’Alembert du 4 avril 1765, il écrit explicitement :
« Il ne faut pas que le peuple lise. Il se perdrait à vouloir raisonner. Il faut qu’il obéisse. »
— Correspondance, éd. Besterman, Lettre n° 9931.
Ce n’est pas un simple trait d’humour : Voltaire est sérieux. Il croit au pouvoir des idées, mais redoute qu’elles tombent entre les mains du « vulgaire ». Il craint moins la tyrannie que la bêtise populaire. Dans une autre lettre, il affirme :
« Il n’est pas bon que le peuple sache trop de choses. Il deviendrait insolent. »
— Lettre à Madame du Deffand, 1760.
Pour Voltaire, la masse est une canaille turbulente, facilement manipulable, et qu’il faut maintenir dans un état de subordination pour préserver la paix civile. Cette vision autoritaire trahit une mentalité aristocratique et foncièrement conservatrice.
De plus, Voltaire ne soutient jamais les soulèvements populaires, même lorsque ceux-ci expriment des revendications élémentaires de survie ou de justice. Face aux émeutes de subsistance qui frappèrent plusieurs provinces au XVIIIe siècle, il adopte une position dure, se rangeant toujours du côté des autorités répressives.
Dans une lettre à Étienne Noël D'Amilaville, datée d’avril 1766, il écrit sans détour :
« Il faut pendre quelques-uns de ces drôles pour apprendre aux autres à se tenir tranquilles. »
— Correspondance, éd. Besterman, Lettre n° 10268.
Cette phrase glaçante montre que Voltaire n’avait aucune sympathie pour les mouvements populaires, même lorsqu’ils visaient à protester contre des taxes écrasantes ou des famines injustement réparties. L’ordre public, même injuste, valait à ses yeux mieux que le désordre engendré par la contestation sociale.
L’historien Robert Darnton note d’ailleurs que Voltaire, bien qu’ennemi de certaines injustices religieuses, restait « profondément réactionnaire sur les questions sociales » (The Literary Underground of the Old Regime, 1982).
Puis, loin de remettre en cause l’ordre social, Voltaire le légitime sans détour. Il critique certains abus du pouvoir, mais jamais la structure hiérarchique elle-même. Dans le Dictionnaire philosophique, article « Guerre », il s’attaque à l’absurdité des conflits entre souverains, mais pas à l’idée même de monarchie héréditaire ni à l’inégalité entre nobles et roturiers.
Il écrit dans une lettre à M. le Riche, en 1761 :
« Le peuple est fait pour être conduit, non pour conduire. »
— Correspondance, éd. Besterman, t. XLVIII, n° 9714.
Cette maxime résume bien sa vision : une société dirigée par des maîtres intelligents (comme lui), et obéie par une masse docile. Voltaire ne remet pas en cause la noblesse en tant que classe dirigeante. Il en critique parfois l’oisiveté ou l’ignorance, mais jamais la légitimité de son autorité. Allons demander à ceux qui se revendiquent des Lumières et de leur prophète Voltaire ce qu'ils pensent de cette phrase, non ?
Jean de Viguerie, dans Les Deux Patries : essai historique sur l’idée de patrie en France (2001), confirme que Voltaire « refusait au peuple la capacité politique » et voyait la France comme « une société où les sages doivent gouverner sans partage ». Ce qui prouve donc que Voltaire était un grand défenseur de la liberté d'expression...
Voltaire reflète parfaitement son élitisme social et son mépris latent envers le peuple. Voici une nouvelle preuve qui est tirée d’une lettre à Mme du Deffand, datée du 13 février 1761, et se trouve dans la Correspondance de Voltaire éditée par Theodore Besterman (Tome XLVIII, n° 9583) et également dans Œuvres complètes de Voltaire ; édition de CH. Lahure en 1860.
Voici le passage exact :
« Ce monde-ci, que j’en convienne, est un composé de fripons, de fanatiques et d’imbéciles, parmi lesquels il y a un petit troupeau séparé qu’on appelle la Bonne Compagnie. Ce petit troupeau, étant riche, bien élevé, instruit, poli, est comme la fleur du genre humain. C’est pour lui que les plaisirs honnêtes sont faits, et c’est pour lui que les plus grands hommes vont travailler. »
Cette déclaration est un témoignage éclatant de la manière dont Voltaire pensait la société : divisée entre une minorité « élue » cultivée et bien-née (la « Bonne Compagnie ») et une majorité jugée irrécupérable, ignorante, fanatique ou stupide.
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Mme du Deffand |
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