Saint Thomas, l'incrédule
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Saint Thomas, tableau de Georges de la Tour |
I. Une jeunesse galiléenne, entre humilité et feu intérieur
Saint Thomas, surnommé Didyme (« le jumeau » en grec, traduction de l’araméen Tʾōmā), est né au Ier siècle, probablement dans une localité rurale de Galilée, telle que Paneada, Cana ou Tarichea. À cette époque, la Galilée était marquée par un tissu culturel juif imprégné d’influences grecques, avec un peuple bilingue (araméen/grec) et une religiosité vivante, mais souvent jugée trop populaire ou relâchée par les cercles judéens plus stricts de Jérusalem.
Issu d’un foyer modeste et profondément ancré dans la tradition juive, Thomas reçut une éducation centrée sur la Torah, les prières communautaires et les récits des prophètes. Selon plusieurs traditions, notamment dans l’hagiographie syriaque et indienne, il aurait exercé un métier manuel : charpentier (comme saint Joseph), tailleur de pierre ou même architecte. Cela suggère un homme pratique, fidèle à l’artisanat, qui appréhendait le monde par ses mains et son bon sens terrien. Il est aussi probable qu’il ait aidé à la pêche familiale, bien que le statut exact demeure incertain.
Comme tout jeune juif de Galilée, Thomas fréquenta la synagogue, y apprit l’hébreu, l’araméen, et se confronta aux enseignements rabbiniques. Sa région, ouverte à l’hellénisme, lui permit d’acquérir un certain niveau de culture grecque, utile dans la Galilée plurilingue.
Le doute de Thomas ne naît pas dans sa vie apostolique, mais certainement dans sa jeunesse : son tempérament, réfléchi, parfois sceptique, se forge dans le dialogue intérieur entre la foi de la tradition et les questions existentielles. Si l'Évangile ne relate rien de précis avant l’appel de Jésus, son attachement à la Loi, le souci de vérité et peut-être l’observation de souffrances autour de lui ont sans doute préparé le terrain pour sa fameuse quête de sincérité : il sera l’apôtre qui demande des preuves, car il veut croire vraiment.
Sa jeunesse nous révèle un homme humble, solide, relié à la terre par son artisanat, formé à la Loi juive, mais déjà animé d’un désir sincère de vérité, prêt à questionner pour mieux saisir la promesse messianique. C’est dans cet homme que le Christ va souffler un appel : cet appel qui transformera le charpentier en apôtre, le fils de la Loi en témoin de la Résurrection.
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Représentation de Saint Thomas |
II. La rencontre de saint Thomas avec le Christ : du doute au zèle
Parmi les Douze choisis par le Seigneur, Thomas, selon l’Évangile de Jean (11,16), est l’un de ceux dont les Écritures conservent plusieurs paroles, ce qui est rare pour les apôtres en dehors de Pierre et Jean. Sa personnalité se détache non par des miracles éclatants, mais par une profondeur intérieure, une gravité dans le doute, une noblesse dans la sincérité de son cœur.
La première mention importante de Thomas se trouve dans Jean 11,16, lors de l’épisode de la mort de Lazare. Jésus décide de retourner en Judée, où les Juifs cherchaient déjà à le lapider. Les disciples sont effrayés. Mais c’est Thomas qui, dans un élan de fidélité, déclare aux autres :
« Allons-y, nous aussi, pour mourir avec lui. »
Cette parole, parfois négligée, est d’une importance capitale. Elle montre que le doute n’était pas chez Thomas une lâcheté, mais plutôt une lucidité mêlée d’un profond amour. Il ne suit pas aveuglément ; il veut comprendre, mais il est prêt à suivre jusqu’au sacrifice.
C’est sans doute ce tempérament ardent, mais exigeant, qui se manifeste à nouveau lors de la Cène. Lorsque le Christ dit à ses apôtres :
« Vous connaissez le chemin où je vais » (Jean 14,4),
c’est Thomas qui ose interrompre :
« Seigneur, nous ne savons pas où tu vas. Comment pourrions-nous connaître le chemin ? »
À cette question découle une des paroles les plus solennelles du Christ dans tout l’Évangile :
« Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie. Nul ne vient au Père que par moi. » (Jean 14,6)
Cette révélation du cœur du mystère chrétien jaillit précisément de la franchise de Thomas. Il ne cache pas son incertitude, mais sa question devient le tremplin d’une lumière plus grande. En cela, Thomas incarne le chrétien en quête de certitude, non par orgueil, mais par désir sincère d’adhérer pleinement à la vérité.
Enfin, l’épisode le plus célèbre est celui qui valut à Thomas le surnom, parfois mal interprété, de « l’incrédule ». Après la Résurrection, lorsque les autres disciples disent : « Nous avons vu le Seigneur », Thomas réplique :
« Si je ne vois dans ses mains la marque des clous, si je ne mets mon doigt dans la marque des clous et ma main dans son côté, je ne croirai pas. » (Jean 20,25)
Mais le Christ, huit jours plus tard, revient exprès pour lui :
« Avance ton doigt ici, et vois mes mains. Avance ta main et mets-la dans mon côté. Cesse d’être incrédule, sois croyant. » (Jean 20,27)
Thomas s’effondre alors dans un acte de foi parfait :
« Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jean 20,28)
Aucun autre apôtre, dans les Évangiles, ne confesse la divinité du Christ avec autant de clarté. Son doute, loin d’être une faiblesse, est devenu le tremplin de la confession la plus haute.
Le doute de Thomas n’était pas celui d’un esprit rebelle, mais d’un homme qui voulait aimer vraiment, pleinement, jusqu’au bout. Et c’est pour cela que Jésus l’a honoré de cette apparition particulière. Le Christ, loin de le réprimander durement, le conduit par la patience et la tendresse à une foi encore plus ferme.
Comme le dit saint Jérôme dans De viris illustribus, Thomas, ayant confessé la divinité du Seigneur, partit évangéliser les peuples de l’Orient, poussé par l’amour brûlant de celui qu’il avait vu ressuscité. Il alla jusqu’aux extrémités de la terre, en Inde, pour annoncer celui qu’il avait touché de ses mains. Le doute s’effaça, le martyre le consacra.
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L'incrédulité de Saint Thomas, de Rembrandt |
III. La mission orientale de saint Thomas : de la Mésopotamie aux Indes
Lorsque le Seigneur ressuscité dit à ses Apôtres : « Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples » (Mt 28,19), chacun prit la route que la Providence lui avait tracée. À Thomas, selon la tradition unanime des Pères orientaux, revint la mission la plus lointaine, la plus périlleuse, mais aussi la plus mystérieuse : les Indes.
L’historien chrétien Eusèbe de Césarée (Histoire ecclésiastique, III, 1) rapporte déjà que les Apôtres furent envoyés dans diverses régions du monde et que Thomas fut destiné à l’Orient, même si Eusèbe ne donne pas de précisions géographiques. Mais très tôt, cette tradition se précise.
Selon les Actes de Thomas, texte apocryphe mais riche de traditions orientales (daté entre le IIIe et IVe siècle), Thomas partit malgré lui pour les Indes, vendu comme esclave par un marchand nommé Abbanes, sur indication du Christ lui-même. Arrivé en Inde, il fut accueilli par le roi Gondopharès (personnage historiquement attesté, roi indo-parthe du Ier siècle, connu grâce à des pièces retrouvées en Afghanistan et au Pakistan). Ce lien entre un texte chrétien et une figure historique donne à l’ensemble une crédibilité certaine quant à la destination orientale de Thomas.
Le Pape Benoît XVI, dans son audience du 27 septembre 2006, disait lui-même :
« Une antique tradition, attestée déjà au IVe siècle, veut qu’il ait évangélisé les Indes. »
Le zèle de Thomas ne s’arrêta pas aux côtes de l’Arabie. Il semble qu’il ait d’abord prêché dans la région de l’Édesse (actuelle Şanlıurfa, en Turquie), l’un des tout premiers foyers chrétiens hors de Palestine. Les chrétiens d’Édesse, en grande partie de langue syriaque, conservèrent une mémoire ardente de saint Thomas. Leur liturgie, encore aujourd’hui, l’honore comme l’apôtre fondateur.
Puis, d’Édesse, Thomas serait monté jusqu’à la Perse, avant de traverser les eaux de l’océan Indien pour rejoindre les côtes du Kérala, en Inde du Sud. C’est là que se développe la mémoire la plus enracinée de l’apôtre.
La tradition des "chrétiens de saint Thomas" (ou Nasranis) est toujours vivante en Inde. Ces communautés syriaques affirment descendre directement de l’apostolat de saint Thomas, qui serait arrivé vers l’an 52 après Jésus-Christ. Il y aurait fondé sept églises dans la région du Kérala, notamment à Kodungallur (Cranganore), ancienne capitale des rois Chera.
Les récits locaux, notamment ceux transmis par les traditions liturgiques syriaques orientales, affirment que saint Thomas prêcha auprès des Brahmanes, mais aussi auprès des castes inférieures, auprès des juifs établis dans la région, et qu’il opéra de nombreux miracles. Une tradition orale constante rapporte qu’il convertit une reine locale en ressuscitant son fils.
Le martyre de Thomas est fixé traditionnellement à Mylapore (près de Madras, actuelle Chennai), sur la côte orientale de l’Inde, où l’on trouve encore aujourd’hui le sanctuaire de Saint Thomas, au sommet de la colline où il aurait été transpercé de lances vers l’an 72.
Des pèlerins chrétiens, notamment le vénérable Marco Polo au XIIIe siècle et l’explorateur portugais Duarte Barbosa au XVIe siècle, ont attesté l’existence de ce sanctuaire, et des chrétiens qui vénéraient Thomas comme leur apôtre. Barbosa écrivait :
« Il y a là une grande église de chrétiens, et ces gens disent qu’ils furent convertis par saint Thomas lui-même. »
Selon une tradition rapportée par plusieurs auteurs byzantins (dont Grégoire de Tours), les reliques de saint Thomas furent transférées au IIIe siècle à Édesse. Cela semble confirmé par les écrits d’Éphrem le Syrien (IVe s.), qui mentionne une basilique de saint Thomas à Édesse où des miracles avaient lieu.
Au XIIe siècle, une partie des reliques aurait été transférée à Ortona, en Italie, où elles reposent encore aujourd’hui dans la cathédrale consacrée à l’apôtre. Un lien entre Orient et Occident scellé dans les ossements d’un témoin du Ressuscité.
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Basilique Saint Thomas Apôtre, à Ortona |
IV. Le martyre de saint Thomas : l’apôtre transpercé pour le Christ
Le sort de l’Apôtre Thomas s’acheva comme il avait commencé : dans une blessure. Lui qui ne crut que parce qu’il mit ses doigts dans les plaies du Christ, laissa lui-même son corps devenir blessure pour la vérité qu’il avait reconnue.
La tradition syriaque affirme que saint Thomas, après avoir fondé plusieurs communautés chrétiennes au sud-ouest de l’Inde (Kodungallur, Palayur, Niranam, etc.), poursuivit sa mission vers la côte orientale, au royaume des Coromandels, dans la région de Mylapore (aujourd’hui Chennai/Madras).
Son zèle apostolique y rencontra non seulement l’adhésion du peuple, y compris de membres des castes nobles, mais aussi la jalousie des prêtres païens et l’hostilité du roi local. Certains textes rapportent que saint Thomas avait converti des femmes de la maison royale, ce qui fut jugé comme un affront aux traditions locales.
Il aurait également détruit une statue d’une divinité païenne, suscitant une vive colère. La tradition, telle que la rapportent les Actes de Thomas et des récits syriaques, nous décrit une conspiration pour l’éliminer.
Un jour, alors qu’il priait dans une grotte sur une colline aujourd’hui appelée « Mont Saint Thomas », près de Mylapore, il fut attaqué par des soldats du roi ou par des prêtres païens armés de lances.
Il fut transpercé par plusieurs coups de lance, en écho à la lance qui avait frappé le côté du Christ. Selon la tradition, il mourut en murmurant une dernière prière :
« Seigneur, je remets mon esprit entre Tes mains. »
Son corps fut inhumé dans la ville même de Mylapore, où les fidèles édifièrent un premier sanctuaire.
Le martyre de saint Thomas n’est pas seulement rapporté par des sources chrétiennes orientales. Plusieurs voyageurs chrétiens ont visité sa tombe et en ont fait mention dans leurs récits :
Le moine arménien Théophile l’Indien, au IVe siècle, affirme avoir vu son tombeau en Inde.
Le pèlerin Cosmas Indicopleustès, au VIe siècle, signale une grande église et un tombeau honoré par les chrétiens et respecté des païens. Le dominicain Jordanus de Sévérac au XIVe siècle confirme le martyre du saint et le lieu traditionnel de sa sépulture. Le Bienheureux Odoric de Pordenone, au XIVe siècle également, raconte que la colline de son martyre est vénérée, et qu’un arbre pousse là où le sang de l’apôtre aurait coulé.
Le récit de son martyre est encore chanté dans la liturgie syriaque orientale, et ses reliques, transférées à Édesse au IIIe siècle, furent l’objet d’une grande vénération dans tout l’Orient chrétien.
Les Pères orientaux ont vu dans la mort de Thomas une image de l’eucharistie vécue : lui qui mit sa main dans le flanc du Christ, fut transpercé à son tour pour témoigner que ce flanc, source de vie, est aussi appel à l’imitation jusqu’au sang.
Saint Éphrem le Syrien écrit dans une de ses hymnes :
« Thomas, main dans la plaie,
a creusé en lui-même la voie de l’Esprit ;
il toucha la chair, et crut en la divinité,
il fut transpercé, pour celui qu’il avait touché. »
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Le Martyre de Saint Thomas, Giovanni Battista Pittoni |
🕊️ Héritage de saint Thomas : lumière pour les peuples lointains et patron des âmes en quête
L’apôtre Thomas, que l’on nomme comme dit précédemment, avec révérence le Didyme (le Jumeau) fut longtemps connu dans la tradition chrétienne comme celui qui douta... mais dont le doute ouvrit la porte à l’adoration la plus profonde, lorsqu’il proclama avec effusion : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jean 20, 28). Cette confession, simple et fulgurante, a suffi pour qu’il devienne, au fil des siècles, l’un des plus puissants intercesseurs pour les esprits troublés, les chercheurs sincères, les intelligences torturées qui cherchent la clarté de la foi sans trahir l’exigence de la vérité.Son héritage est immense et multiforme.
🕊️ Patronage spirituel
Il est d’abord le patron des architectes, des géomètres et des bâtisseurs. Selon une antique tradition reprise dans les Actes de Thomas, lorsqu’il arriva en Inde, Thomas fut employé par un roi nommé Gondopharès pour construire un palais. Mais Thomas, fidèle au Christ, distribua tout l'argent aux pauvres, édifiant ainsi un palais "dans le ciel". Le roi, d'abord furieux, fut ensuite touché par une vision céleste lui montrant la demeure spirituelle bâtie par l'apôtre. Cet épisode valut à saint Thomas d'être aussi le patron des bâtisseurs d'âmes, des artisans du Royaume.
Il est également invoqué par les aveugles, les théologiens, les philosophes et tous ceux qui sont habités par une foi inquiète, non comme rébellion, mais comme supplication : "Seigneur, viens au secours de mon manque de foi." Thomas est l’apôtre des chercheurs, de ceux qui veulent "voir et toucher" pour croire avec le cœur entier.
🌏 Rayonnement mondial : l'apôtre de l'Orient
Mais son héritage le plus tangible est sans doute son œuvre missionnaire : il est l'apôtre des Indes. Selon de très anciennes traditions rapportées dès le IIIᵉ siècle (Origène, Eusèbe de Césarée), saint Thomas aurait évangélisé les Parthes, les Mèdes, puis les royaumes de l’Inde.
Le martyrologe romain affirme au 3 juillet : « À Calamine, ville de l’Inde, la passion de saint Thomas Apôtre, qui prêcha l’Évangile dans ces contrées, où il fut percé d’un coup de lance. »
Son sang aurait été versé non loin de Mylapore, près de Chennai, où une basilique lui est dédiée. Le lieu a été vénéré depuis les premiers siècles. Une communauté chrétienne ancienne, connue sous le nom des chrétiens de saint Thomas, lui doit son existence. Jusqu’à aujourd’hui, ces chrétiens d’Inde, qui parlent syriaque ou malayalam, conservent une liturgie antique et une fidélité farouche à l’apôtre.
⛪ Vénération liturgique et culte
Son culte se répandit tôt : en Orient comme en Occident, on célébrait l’Apôtre "missionnaire jusqu’aux confins du monde connu". Son tombeau aurait été transféré à Édesse (actuelle Şanlıurfa, Turquie), puis à Chios et enfin à Ortona (Italie), où il est toujours vénéré.
Il est fêté :
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Le 3 juillet au calendrier romain moderne (anciennement le 21 décembre),
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Et le 6 octobre dans l’Église byzantine,
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Tandis que les Églises syriaques d’Inde célèbrent plusieurs fêtes liées à ses miracles, son martyre et la translation de ses reliques.
👑 Un Saint Universel
Thomas est le patron de ceux qui doutent pour mieux croire, de ceux qui bâtissent non des murs, mais des cathédrales intérieures. Il incarne ce cheminement de l’ombre à la lumière, du raisonnement au feu de l’adoration. Il est aussi le symbole de l’Église missionnaire, tournée vers les peuples, vers l’Orient, vers ceux qui n’ont pas vu et qui croient.
Qu’il inspire nos paroles, éclaire nos chemins, et nous guide jusqu’au seuil de Celui qu’il toucha de ses mains tremblantes : le Christ ressuscité.
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Tombeau de Saint Thomas |
Prière à Saint Thomas :
- Glorieux apôtre Saint Thomas
Qui, après avoir douté de la résurrection de notre Seigneur Jésus-Christ
a obtenu la grâce de toucher de vos mains les plaies les plus sacrées du corps de notre Seigneur Jésus Christ
Qui vous a alors dit : “Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru”.
Je vous demande humblement la grâce d’obtenir de la miséricorde du Seigneur la lumière pour mon esprit, l’aide dont j’ ai besoin en ce moment.
Protégez moi et inspirez moi, Saint Thomas, apôtre et martyr.
Par le sang de notre Seigneur Jésus-Christ.
Ainsi soit-il.
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